[Chasses nocturnes] [M] If time could stop

Matthew ne put s’empêcher de faire la moue durant une fraction de seconde. C’était vexant d’entendre rire, même si c’était un léger rire, son interlocuteur pour une phrase qu’il venait de dire. Certes, il n’était pas très honnête, que ce soit avec lui-même ou avec les autres. Mais on l’avait habitué à garder en lui ce qu’il pensait vraiment alors il continuait par réflexe et aussi pour se protéger. Heureusement, il reprit très rapidement un visage plus neutre en espérant que Luca n’aurait rien vu.

- Bien. Nous verrons cela quand cela commencera.

Pour cela, il sentait qu’il pouvait lui faire confiance. Même s’il restait un peu réticent à lui accorder un minimum de confiance. Cet homme semblait assez douteux. Il ne savait pas ce qu’il lui voulait. Il devrait parler pour essayer de le découvrir, mais il préférait laisser Luca mener la danse pour voir. Si le jeune noble prenait la parole, il avait peur que son vis-à-vis en apprenne un peu trop à son sujet.

Il ne se retourna même pas vers la jeune fille. Si Luca voulait la draguer, c’était son droit. Mais il pouvait bien attendre d’être seul. Matthew avait la mauvaise manie d’aimer être le centre d’attention. Du moins, la plupart du temps. Des fois, il préférait disparaître plutôt que de supporter des hypocrites qui ne pensent qu’à leur statut social et à l’argent.

En plus, c’était quoi ce sourire ? Il était tellement content que la fille réagisse aussi bien à son rentre-dedans ? Peut-être que le noble se trompait. Mais il ne voyait pas trop ce qui pouvait le faire sourire autant.

-Avec plaisir, dit-il d’un ton neutre en récupérant la flûte entre ses doigts fins. Il inspecta la coupe. Il avait un peu peur que cela ne convienne point à sa bouche raffinée mais décidant de passer outre ses réticences, il porta le verre à ses lèvres en but une gorgée.

Il ne fit aucune réflexion sur ce qu’il venait de boire. Pourtant, il ne fut pas autant déçu que ce qu’il pensait. Ce champagne n’était pas mauvais. Mais plutôt crever que de l’attendre ouvertement

Le jeune noble se retint de lever les yeux au plafond. Il avait l’impression d’entendre ses hôtes à chaque réception mondaine. « Est-ce que cela vous sied ? », « Veuillez me pardonner, je ne puis vous offrir un vin dingue de votre grandeur » et tellement d’autres phrases pompeuses qu’il refusait de retenir pour la bonne et simple raison que les gens ne disaient ça que pour lui cirer les chaussures. Un bon moyen pour gagner sa sympathie en le flattant. Moyen qui ne marchait pas sur lui évidemment. Il aimait être le centre de l’attention, mais entendre des mensonges et des flatteries juste pour être élevé à un meilleur rang social, il ne supportait pas ça.

Pourtant venant de cet homme c’était différent. Certes, il le flattait, c’était évidemment. Mais Matthew n’avait pas envie de le snober comme avec les autres. Peut-être parce qu’il ne semblait pas s’intéresser à son argent ou à son statut social. Ou alors, il était un très bon acteur et stratège pour réussir à cacher tout cela.

- Le meilleur champagne ? On pourrait aisément croire que vous avez goûté à tous les champagnes du monde.

Evidemment, c’était impossible. Personne ne pouvait prétendre cela. Mais le jeune noble restait curieux. Même si l’idée d’aller dans un restaurant « sans prétention » ne l’attirait pas le moindre du monde. Vivre dans le luxe, c’était s’y habituer. Et avoir surpassé ses goûts de noble pour venir dans ce petit théâtre était déjà un bel exploit.

Mais n’était-ce pas une étrange façon de l’inviter chez lui ? Oui, bon nombre de nobles auraient aimé voir ces fameux grands crus et y auraient porté un grand intérêt. Mais Matthew restait de marbre. Il n’avait pas envie de se méprendre sur les intentions de son interlocuteur, ni de se montrer trop intéressé. Il essayait de faire profil bas, même si dans le moindre de ses gestes, on sentait qu’il n’était pas du même monde. Un noble ne pouvait agir aussi familièrement que les gens du peuple.

Alors comme ça, cet homme avait pu voyager dans le monde ? Partir à la rencontre de nouveaux horizons, cultures et surement rencontrer des gens avec des mentalités complètements différentes. A moins que le jeune noble se fasse de fausses idées à ce sujet. Il avait quand même espoir que tous les nobles n’étaient pas seulement d’odieux hypocrites qui n’étaient bons qu’à flatter les égaux de leurs « supérieurs ». Et même s’il rêvait surement, il ne pouvait s’empêcher de penser que cet homme à ses côtés était libre.

Quelle injustice ! Matthew possédait tout. Il avait la jeunesse, l’argent, la beauté, un charme que peu pouvait concurrencer. Il avait vraiment tout. Il ne lui manquait qu’une seule chose, la liberté. Et au vu de sa position sociale, il n’y aurait jamais accès. Ce n’était qu’un rêve fugace qui le hantait à chaque fois qu’il approchait de trop près cette fameuse liberté. Oui la liberté n’était là que pour quelques chanceux, ou idiots, qui arrivaient à l’atteindre en sacrifiant tout ce qu’ils possédaient.

Mais cette fois-ci, elle lui semblait accessible. Grâce à cet homme, la liberté était enfin à sa portée. Bien sûr rien n’était gratuit, il le savait pertinemment. Mais quel serait le prix à payer pour enfin obtenir un peu de liberté ? Il n’était pas encore bien sûr et n’était pas prêt à faire de trop gros sacrifices. Il devait donc encore apprendre à connaître un peu mieux son interlocuteur.

Pour cela, il devait en apprendre plus sur les pays qu’il avait visité et un peu tout ce qu’il pourrait apprendre sur la vie de cet homme. Mais il devait le faire discrètement. Pas question que son interlocuteur se doute de quoi que ce soit. Même si cet homme semblait largement moins bête que les nobles qu’il côtoyait tous les jours.

- Vraiment ? Et avez-vous trouvé des vins pouvant surpasser ceux de France ?

Il avait souvenir d’avoir goûté de très grands crus provenant de France et il pouvait aisément dire que les vins d’Angleterre ne pouvait en aucun cas surpasser la finesse de ces premiers.

- Oui, j’ai déjà pu goûter l’un de leurs vins. 

Le jeune noble avait répondu du tact au tact pourtant il ne s’en souvenait que vaguement. Il avait déjà goûté de multiples vins d’origines assez diverses, sa richesse lui permettant d’avoir accès à pas mal de choses. Mais il était jeune lorsqu’il avait pu goûter à un vin espagnol. Trop jeune pour pouvoir apprécier la qualité du vin. Jeune, on fait comme les grands et c’est ce qu’il avait fait. A cette époque, il cherchait juste à montrer qu’il était l’héritier des Matthew et que personne ne pourrait le surpasser. A ce moment là, jamais il n’avait réalisé qu’il s’enfermait lui-même dans la cage qui le retenait prisonnier en ce moment même. Quelle naïveté ! 

Repenser au passé lui fit légèrement perdre le fil de la discussion. Son passé était semblerait-il parfait. Il avait tout ce qu’il désirait et rien ne lui manquait. Mais maintenant qu’il voulait quelque chose qui lui était presque inaccessible, il trouvait son passé fade. Un enfant se contentait vraiment de peu, son imagination faisant le reste pour combler les vides que les adultes ne pouvaient combler eux. 

Si seulement il pouvait être libre. 

Il reporta rapidement son attention sur son interlocuteur, espérant ne pas s’être trop égaré. Il ne voulait pas non plus attirer la curiosité du jeune homme sur lui. Il aimait être le centre d’attention, mais interdiction de trop entrer dans les détails. Il tenait à garder un peu d’intimité tout de même. Luca était bien le seul, dans son entourage, à pouvoir lui apporter cette liberté. Mais n’était-il pas en train de s’embarquer dans un coup fourré ? Matthew était méfiant, mais tout aussi attiré, par le sourire de son vis-à-vis. Comment réussir à mettre à nu les intentions de cet homme, et ce le plus vite possible sans se faire découvrir ?

Et voilà, une nouvelle invitation venait d’être lancé. Son interlocuteur tenait vraiment à le revoir ? Mais pourquoi ? Bon sang, cette question commençait vraiment à l’agacer puisqu’il n’arrivait pas à obtenir la réponse. Et étrangement, il avait le sentiment qu’il ne le découvrirait qu’en continuant à accepter les rendez-vous de cet homme. 

Mais devait-il vraiment accepter ? 

D’un côté, il voulait dire oui, maintenant. Il voulait jouir de cette nouvelle liberté qu’on lui offrait. De ce nouveau monde qui se présentait à lui. Oui, il voulait se laisser aller à ses fantaisies et en apprendre d’avantage sur ce monde qui l’entourait et qui changeait du sien, de celui de cette noblesse hypocrite qu’il côtoyait chaque jour. 

Mais d’un autre côté, il devait refuser. Il ne savait rien de cet homme, c’était encore un parfait inconnu. Il pouvait très bien faire face à un piège et s’il acceptait, il allait tomber dedans. Il devait se méfier et ne pas lui accorder sa confiance comme s’il était encore un enfant naïf. Après tout, maintenant il savait que le monde pouvait être dangereux. 

Perdu dans ces hésitations, il finit par décider de ne rien répondre, laissant ainsi son vis-à-vis languir encore un peu avant d’obtenir une réponse claire. Après tout, il avait le droit d’y réfléchir. Et il fut soulagé lorsque la pièce commença. Il n’aurait pas à parler plus si l’homme voulait en savoir plus. 

- Merci bien, dit-il doucement tout en récupérant les jumelles entre ses doigts fins. Ils étaient bien placés mais un peu loin, c’était donc parfait. Il pourrait mieux apprécier le spectacle, en espérant que celui-ci ne serait pas aussi ennuyeux que le dernier qu’il était allé voir, celui où il avait rencontré la personne qui était à ses côtés en ce moment même.

Matthew s’était tellement pris dans l’histoire qu’il fut surpris de voir l’entracte arriver aussi vite. Il n’avait vraiment pas l’habitude d’apprécier un jeu d’acteurs aussi bon qu’il en avait été pris au dépourvu lorsque ça s’était arrêté. Bien sûr ça allait reprendre. Mais il allait devoir attendre un peu. 

Il se rassit correctement, le dos bien collé au fauteuil. Il s’était légèrement avancer sans le remarquer lorsqu’il avait regardé la pièce, signe qu’il était intéressé. Il n’avait même pas bailler ou regarder ailleurs. Il avait passé son temps à suivre la pièce, une de rares fois où il avait pu le faire avec plaisir. 

Il consentit enfin à se tourner vers l’homme qui l’avait invité. Il n’aurait pas été poli de le snober en attendant que la pièce redémarre. Mais il ne savait pas quoi lui dire. Il se voyait mal partir dans une grande tirade pour expliquer à quel point il avait pu apprécier cette première partie de la pièce. Ce genre de discours convenait largement mieux à sa fiancée. Même si elle avait tendance à s’extasier devant toutes les pièces qu’elle voyait. N’avait-elle aucun goût ? Par contre cet homme à ses côtés semblait en avoir d’avantage. Ou alors c’était Matthew qui n’était pas fait pour apprécier ce que la noblesse hypocrite qualifiait de sensationnel alors que même le scénario semblait boiteux. Ou les comédiens étaient vraiment pitoyables et rendaient la pièce effroyables au possible. 

Matthew esquissa donc un sourire poli à l’attention de son voisin avant de récupérer sa coupe et d’en boire une gorgée pendant que son regard se promenait sur les gens dans la salle. Il n’avait rien à dire et il ne comptait pas fixer Luca tout le temps. Ce dernier semblait bavard, il trouverait bien un sujet de conversation s’il le voulait.

Lorsque Matthew entendit la voix du jeune homme, il se retourna vers lui. La politesse voulait qu’on regarde la personne avec qui on parlait. Il chercha rapidement ses mots pour ne pas laisser entendre qu’il avait vraiment apprécié. Il voulait modérer ces dires, préférant rester neutre. Il n’avait pas envie que cet homme s’emballe trop vite à son sujet.

- Le jeu d’acteurs n’est pas mauvais. L’histoire se suit bien. Ce n’est pas trop mal.

Très court et très modeste, voilà une réponse qui lui allait bien. Normalement il se forçait pour montrer plus d’enthousiasme. Et cette fois, il devait se forcer pour trouver des répliques neutres. C’était vraiment deux mondes différents. Deux mondes où il devait jouer la comédie. Dans un c’était pour se fondre dans la masse, dans l’autre c’était pour éviter de tomber trop vite dans un piège.

Un jour allait-il pouvoir être lui-même ?

- Avec plaisir, répondit-il doucement en tendant son verre à Luca. S’il buvait peut-être qu’il se détendrait un peu plus et qu’il arrêterait de trop réfléchir pour mieux apprécier ce moment. Mais il ne devait pas non plus trop boire pour ne pas finir dans une situation embêtante. Il devait encore être capable de se défendre si jamais on tentait de l’agresser ou de le kidnapper. Il n’exclurait pas cette possibilité avant un moment.

Cet homme était vraiment libre. Il n’était pas enfermé dans une cage aux barreaux dorés où il devait faire absolument tout ce qu’on lui imposait. Il ne semblait pas avoir de fiancée à ses trousses, ni rien qui le retenait à son statut social. Il semble tellement libre et Matthew le jalousait. Il ne pouvait se permettre de vivre de telles aventures. Il allait forcément se faire avoir un jour ou l’autre. Mais maintenant qu’il avait commencé à goûter à ça, il allait avoir du mal à se résoudre d’y renoncer une fois qu’il serait rentré chez lui. Mais il jouait un jeu dangereux en suivant cet homme et il le savait très bien. Mais il en avait tellement marre de vivre enfermé qu’il avait cédé rapidement à la tentation. Et si une prochaine occasion se présentait, il risquait d’accepter à nouveau. C’était tellement tentant. Comment y résister ? 

- Ce n’est pas comme si l’argent était un souci pour nous, répliqua calmement le jeune noble alors qu’il était tourmenté par ses pensées. Il avait toujours été très bon comédien, pourquoi cela changerait-il maintenant ? Et puis, il ne mentait pas. Il était assez riche pour s’offrir ce qu’il voulait sans se soucier du prix. Bien sûr, il pouvait s’offrir tout ce qu’il désirait tant que cela pouvait s’acheter. La liberté ne s’achetait pas, malheureusement. 

Les dernières paroles n’avaient pas manqué leur effet au près de Matthew. Il était persuadé qu’il y avait une sorte de sens caché derrière elle et que l’homme parlait de lui. Il en était sûr. Et il ne put s’empêcher de tourner le regard vers celui de son interlocuteur, plongeant son regard azur dans celui de l’homme. Et d’un coup, tout ce qui l’entourait perdit son importance. Il se sentit irrémédiablement attiré par ce regard profond, incapable de s’en détacher. Il ne l’avait jamais vraiment affronté jusqu’ici, le fuyant comme la peste comme il l’avait toujours fait. Mais cette fois, la curiosité l’avait poussé à tenter sa chance et maintenant le voilà prisonnier de ce contact. 

Si Luca n’avait pas détourné le regard, Matthew s’y serait noyé à coup sûr. Il se tourna à nouveau vers la scène, essayant de garder un visage neutre, malgré cette angoisse qui venait de naître en lui. Que c’était-il passé ? Depuis quand un regard pouvait être aussi intense ? Il n’en avait jamais vu de tels auparavant. Il ne devait plus le croiser. Qu’arriverait-il si l’homme ne détournait pas le regard la prochaine fois ? Il n’osait l’imaginer et en frissonnait presque rien que d’y penser. 

Cet homme était un mystère complet, presque effrayant aux yeux du noble. Ce dernier prit sur lui pour se concentrer sur la pièce. Il devait oublier tout ça. Ce n’était peut-être qu’une impression idiote. Il voyait en cet homme un moyen de gagner un peu de liberté. Rien de plus. Il l’avait juste légèrement idéalisé parce qu’il était un genre nouveau qui lui promettait des aventures, des vraies. Celles qu’il ne pourrait jamais connaître en restant coincé dans sa cage. Mais allait-il avoir de nouveau le courage de l’affronter ? Il redoutait vraiment ce que Luca était capable de lui faire. Pourquoi s’intéressait-il à lui soudainement ?

Le regard fixé sur la scène, le jeune noble ne pouvait s’empêcher de ressentir un léger malaise. La pièce avait beau être un délice à savourer sans modération, il ne pouvait pas l’apprécier à sa juste valeur tant qu’il aurait cette sensation. Il ne baissait pas sa garde et se méfiait encore de cet inconnu à ses côtés. Il ne savait quasiment rien sur lui et ne pouvait pas se détendre sans être absolument sûr de ce qu’il voulait. On n’abordait pas Matthew Blair juste pour lui faire découvrir de meilleures pièces. L’homme à ses côtés devait avoir un objectif. Mais lequel ?

Sa paranoïa le suivit jusqu’à la fin de la pièce. Heureusement, il avait pu suivre cette dernière. Mais il aurait aimé pouvoir en profiter d’avantage, sans être sur le qui vive constamment. Son instinct ne pouvait le laisser en paix. Et ce même s’il mourrait d’envie de vivre une aventure plus palpitante que ces réunions idiotes des nobles les plus hypocrites de la Terre. Ici, les gens ne semblaient pas se soucier de l’argent et des relations. Ils semblaient vivre. Du moins, c’était ce qui se dégageait des gens qu’il pouvait observer en contrebas alors qu’ils quittaient la salle maintenant que la pièce était terminée pour de bon.

Peut-être pouvait-il jouer sur ses relations pour amener les comédiens à jouer dans un meilleur théâtre. Mais il ne voyait pas comment il pourrait justifier sa rencontre avec ceux-ci sans paraître des plus suspects. Et puis, peut-être qu’ils perdraient de leur charme une fois sur les projecteurs d’une scène plus noble. La richesse ferait perdre la tête à beaucoup d’hommes, et de femmes, bien évidemment.

Maintenant ce que Matthew redoutait le plus c’était ce qui allait suivre. La logique voudrait qu’il échange quelques banalités concernant la pièce avant de rentrer au manoir. Mais peut-être que l’homme allait proposer autre chose ? Tenter quelque chose de suspect ? Le jeune noble attendait donc patiemment le prochain mouvement de son voisin pour agir en conséquence.

Lorsque Matthew entendit la voix du jeune homme, il se retourna vers lui. La politesse voulait qu’on regarde la personne avec qui on parlait. Il chercha rapidement ses mots pour ne pas laisser entendre qu’il avait vraiment apprécié. Il voulait modérer ces dires, préférant rester neutre. Il n’avait pas envie que cet homme s’emballe trop vite à son sujet.

- Le jeu d’acteurs n’est pas mauvais. L’histoire se suit bien. Ce n’est pas trop mal.

Très court et très modeste, voilà une réponse qui lui allait bien. Normalement il se forçait pour montrer plus d’enthousiasme. Et cette fois, il devait se forcer pour trouver des répliques neutres. C’était vraiment deux mondes différents. Deux mondes où il devait jouer la comédie. Dans un c’était pour se fondre dans la masse, dans l’autre c’était pour éviter de tomber trop vite dans un piège.

Un jour allait-il pouvoir être lui-même ?

- Avec plaisir, répondit-il doucement en tendant son verre à Luca. S’il buvait peut-être qu’il se détendrait un peu plus et qu’il arrêterait de trop réfléchir pour mieux apprécier ce moment. Mais il ne devait pas non plus trop boire pour ne pas finir dans une situation embêtante. Il devait encore être capable de se défendre si jamais on tentait de l’agresser ou de le kidnapper. Il n’exclurait pas cette possibilité avant un moment.

Il prit le temps de finir son verre, même si sur la fin il se hâta légèrement. Les gens semblaient pressés de sortir. Y avait-il une autre pièce après celle-là ? Il préféra ne pas trop réfléchir, acquiesçant simplement aux paroles de son interlocuteur. Il ne pouvait pas nier que cela changeait des pièces et des soirées qu’il avait l’habitude de côtoyer. Il avait presque envie d’aller voir les acteurs et de leur proposer un contrat plus alléchant pour eux qui lui permettrait de les voir dans de vraies soirées sans avoir à se faufiler hors de son manoir. Mais il avait bien peur que les riches ne puissent apprécier un tel spectacle à sa juste valeur.

- Bien, Fut le seul mot qui franchit les lèvres du jeune homme tandis qu’il emboîtait le pas à son compagnon de soirée. Ils récupérèrent leurs affaires avant de se glisser dehors. L’air frais accueillit Matthew qui frissonna avant de fourrer ses mains dans les poches de son manteau. Sur le coup, il eut souvenir de sa fiancée qui, petite, venait toujours fourrer ses mains dans les poches de son ami.

Lorsqu’il émergea de ses souvenirs, ce n’était pas pour écouter ce que l’homme à ses côtés disait. Au contraire, il venait de repérer une tête qu’il n’aurait jamais du croiser. Il ne perdit pas une seconde de plus et entraîna son compagnon dans une ruelle sur sa gauche, sans lui laisser la moindre explication. Rupert . Un homme puissant et riche auparavant qui avait perdu toute sa fortune en investissant dans une mauvaise entreprise. Cet homme ne devait absolument pas le voir traîner par ici. S’il le repérait, Matthew était bon pour recevoir des menaces de cet homme qui voudrait tout dénoncer auprès de la haute société pour retrouver sa richesse. Il en était persuadé.

- Ne dites rien, Ordonna-t-il alors qu’il posait son regard sur son vis-à-vis. Il retenait presque sa respiration alors qu’il guettait le moindre bruit venant de sa droite. Il avait tellement peur de voir surgir Rupert. Mais tout ce qu’il percevait c’était les pupilles de l’inconnu braquait sur lui. Ce regard était presque…envoûtant ?  Ce mot lui paraissait convenir parfaitement à l’instant présent mais c’était complètement absurde. Comment pouvait-il se laisser envoûter en si peu de temps ? Il ne pouvait pas y croire. Mais les faits étaient là. Et avant qu’il réalise quoi que ce soit ses lèvres s’étaient collées à celles de son vis-à-vis.

Son geste n’avait pas remonté jusqu’au cerveau alors que son vis-à-vis s’attaquait à lui. Il avait initié le baiser mais il n’en était pas encore pleinement conscient. Il ne comprenait même pas tout ce qui se passait. Trop de choses se déroulaient en même temps. Il sentait quelque chose d’humide se faufiler entre ses lèvres pour entamer un ballet endiablé avec sa langue tandis que des mains aventureuses redessinaient son corps. Il se laissa faire, ne sachant même pas comment réagir sur le coup. Et puis, même si sur l’instant il ne le comprenait pas, il aimait ça. C’était des sensations inconnues de lui mais tout à fait plaisantes.

Lorsque le baiser se stoppa, il reprit son souffle. Rupert lui était complètement sorti de la tête et doucement les évènements lui arrivaient en pleine face. En réalisant ce qui venait de se produire, il recula vivement, ses mains bloquant le torse de son vis-à-vis. Il prit la fuite. Il n’eut aucune honte à partir en courant. Il avait bien senti que quelque chose de louche pourrait se produire en fréquentant un homme qu’il ne connaissait pas. Mais jamais il n’aurait pensé que ceci arriverait. Il n’avait jamais connu de telles choses et ne pensait pas les connaître avant de finir marié à sa fiancée.

Ce fut le souffle court qu’il arriva à son fiacre. Le conducteur le regarda un instant, surpris et lança une excuse mi-vraie mi-fausse pour qu’on le laisse tranquille. Dire qu’il venait de manquer de se faire agresser ne pouvait pas être considéré comme un mensonge totalement. Il n’avait jamais dit qu’il était d’accord. Mais il n’en revenait toujours pas d’avoir fait ce qu’il avait fait. Et c’était sur ces pensées qu’il avait regagné sa demeure et avait tenté en vain de dormir

Les jours suivant la sortie avec Luca, Matthew n’arrivait toujours pas à oublier le baiser. Il se torturer mentalement et perdait souvent le fil de la conversation. Il avait fini par prétexter qu’il avait du attraper froid un soir alors qu’il avait tenté de lire un de ses livres préférés dans le jardin. L’excuse était très bien passée auprès de sa famille. Il n’y avait que sa promise pour l’embêter et vouloir le chouchouter. Lui qui n’aspirait qu’à un peu de tranquillité pour s’occuper de ses pensées, ne pouvait pas faire un pas sans que la demoiselle le suive et le surveille.

- S’il te plaît, je ne suis pas mourant. Et je ne vais pas m’envoler comme ça. 
- Pour le moment. Tu pourrais avoir un vertige et t’évanouir. Il faut donc quelqu’un à tes côtés pour te soutenir si cela arrive.

Depuis qu’il la connaissait, elle avait toujours eu cette attitude protectrice. Il la voyait ainsi plus comme une sœur que comme une potentielle femme avec qui il allait passer sa vie. Et depuis le baiser, il n’arrivait encore moins à la voir comme une femme. Il ne pouvait s’imaginer en train de l’embrasser comme il l’avait fait la dernière fois. Son premier baiser avait été volé par un homme. Bien qu’il l’avait initié, il se sentait tout de même violé.

- Alors suis-moi.

Une idée venait de germer dans sa tête et il entraîna ainsi sa fiancée dans le jardin. Il s’installa loin, dans une petite clairière où il y avait une balancelle. Il s’y installa, déposant délicatement son livre à ses côtés et fit signe à la jeune fille de prendre place à ses côtés. Elle avait soudainement perdu sa langue. Elle devait être surprise que Matthew désire passer du temps avec elle de cette manière. Depuis quelques temps, il faisait son possible pour ne pas se retrouver seul en sa compagnie. Il avait toujours eu peur que cela dérape et qu’il soit obligé de franchir la ligne qui le séparé de l’amour. Il avait toujours souhaité rester du côté de l’amitié, mais cette fois, il n’avait pas le choix.

- Matthew…

Il déposa délicatement son doigt sur les lèvres de sa fiancée. Elle termina donc de prononcer le nom de l’homme qu’elle aimait dans un simple souffle qui se perdit alors que son cœur s’emballait. Matthew se sentait calme. Il ne ressentait aucune attirance et pouvait ainsi maîtriser ses gestes. C’était complètement différent de la soirée avec Luca, mais il se devait de vérifier. Il retira son doigt lentement avant de se pencher vers sa fiancée. Ses lèvres rencontrèrent celles de la jeune fille dans un mouvement délicat. Il sentit un léger frisson de la part de sa compagne mais aucune émotion ne l’envahit comme il l’avait souhaité. L’instant dura. La jeune fille semblait apprécier. Keigo sentit le contact s’accentuer légèrement même si cela restait chaste. Il finit par mettre fin au baiser, se reculant doucement. Il n’avait pas retrouvé les sensations qu’il recherchait mais il ne laissa pas sa fiancée le déceler. Il passa encore quelques instants en sa compagnie avant de prendre congé. Il ne devait pas la planter comme ça et lui laisser penser qu’il avait détesté. Il ne voulait pas voir ce que son père lui réservait s’il refusait d’épouser son amie d’enfance.

Le reste de la journée lui parut long. Son problème ne s’était pas résolu. Il ne comprenait pas pourquoi il s’était senti transporter loin de la réalité qui l’insupporte tant par le baiser avec un homme et pas lorsqu’il avait embrassé sa fiancée. Il refusait de penser que cela avait un rapport avec le sexe de la personne. Il finit par penser que c’était peut-être parce que c’était son premier baiser et que ce n’était pas calculé comme il l’avait fait avec sa fiancée. Il était dans son bain à cogiter et décida de retenter l’expérience. Mais cette fois, il ne devait pas recommencer avec sa fiancée. Il n’éprouvait rien pour elle. Du moins, pas de l’amour, juste une grande amitié.

Le soir, après avoir lu quelques chapitres d’un bouquin qui trônait sur sa table de chevet depuis plusieurs jours, il le referma et se leva. Il enfila une robe de chambre par-dessus son pyjama et sortit de sa chambre. Il était assez tard, personne ne devait être levé. Personne, excepté quelques servants qui terminaient leur boulot de la journée. Il se dirigea vers la bibliothèque où se trouvait une jeune servante plutôt jolie. Il l’avait repéré depuis le début. Il la trouvait bien plus à son goût que sa fiancée et il était bien content qu’elle travaille aussi tard. Personne ne viendrait par ici à cette heure-ci. Il était donc tranquille.

- Monsieur !, Sursauta la jeune femme en voyant le jeune noble s’approcher d’elle. Elle rangeait la bibliothèque une fois que tout le monde était couché. Elle était persuadée que tout le monde avait rejoint sa chambre et qu’elle pouvait commencer son boulot. Elle pouvait voir qu’elle s’était trompée et quelques rougeurs apparurent sur ses joues. Elle n’osait même plus bouger. Elle n’était pas ici depuis longtemps et ne savait pas ce qui se passait quand on faisait mal son boulot, bien qu’elle sentait bien qu’elle risquait de finir à la porte.

Matthew ne prononça pas un mot, déviant de son trajet à la dernière minute, au lieu de s’arrêter face à la jeune femme. Il passa ainsi à côté de la jeune servante qui resta immobile puis, il se tourna alors qu’il se trouvait sur sa droite. Il la fit se retourner, sans lui faire de mal. Sous la surpris, elle lâcha les ouvrages qu’elle tenait dans les bras et sans lui laisser le temps de comprendre ce qui se passait, il l’embrassa. Il s’y prit différemment de la dernière fois. Il était déjà plus déterminé et bien moins hésitant. Il resta cependant doux, sentant que l’être qu’il avait entre les mains était bien plus délicat et fragile que celui de sa première fois. Le baiser dura plus longtemps et fut plus poussé que le précédent qu’il avait tenté. Il montrait qu’il était le maître et qu’il savait y faire. Lorsque le baiser prit fin, il prit une bonne inspiration pour reprendre son souffle puis repartit comme il était arrivé, laissant la jeune femme plantée sur place, des livres à ses pieds. Encore une fois, il n’avait rien ressenti. C’était mieux que le deuxième baiser mais loin d’être aussi passionné que le premier. A ce rythme, il allait devoir retourner vers Luca.